LE MONDE | 06.02.07 |
Sur un panneau du Centre des congrès de Caen, une affiche annonce un documentaire de "Connaissance du monde". Mais mardi 6 février, le spectacle n'est pas au programme. C'est un tout autre monde pétri de culture ouvrière qui a investi l'amphithéâtre. Quatre juges et cinq avocats ont pris place sur la scène. Décor inattendu pour une audience exceptionnelle du conseil des prud'hommes de Caen : 597 anciens salariés des usines Moulinex de Bayeux, Falaise et Cormelles-le-Royal (Calvados) contestent la validité de leur licenciement intervenu lors du retentissant dépôt de bilan du fabricant de petit électroménager, en septembre 2001.
CHRONOLOGIE
Après cinq années consécutives de pertes, le groupe se lance dans une importante restructuration. Pierre Blayau, ancien dirigeant de Saint-Gobain et de Pinault-Printemps-Redoute (PPR), devient président du directoire. Les usines d'Argentan, dans l'Orne, et de Mamers, dans la Sarthe, ferment. 1997-1998 : les crises asiatique de 1997 et russe de 1998 portent un coup sévère à l'entreprise ainsi qu'à son concurrent français SEB. en janvier, M. Blayau annonce un nouveau plan de restructuration qui prévoit notamment la fermeture de deux usines, Cormelles-le-Royal et Falaise (Calvados). Fin septembre, Moulinex passe sous la coupe de l'italien ELFI (Brandt). Moulinex-Brandt dépose le bilan. En octobre, Moulinex est rachetée par SEB, qui reprend trois usines sur huit en France. En janvier 2002, Brandt est repris par le groupe israélien Elco. Nous avons connu des dossiers prud'homaux aussi importants, explique Octave Tournaille, président général (collège salariés) du conseil des prud'hommes de Caen. La nouveauté, c'est la présence des 597 salariés. Le tribunal n'a pas de salle assez grande, alors nous nous sommes installés au Centre des congrès de Caen
Animatrice de l'association des "ex-salariés de Moulinex-Bayeux"et cheville ouvrière de l'action judiciaire intentée, Marie-Gisèle Chevalier s'est battue pour la présence "de tout le monde dans l'enceinte du procès. Je voulais un procès en public. Nous sommes les acteurs de notre procédure. C'est la revanche d'une vie de boulot. Faut voir, nous les femmes, ce que l'on a pu endurer chez Moulinex".
Regards croisés, embrassades chaleureuses, larmes furtives dans les travées de l'amphithéâtre, le temps d'un matin. Ils sont 208 de l'usine de Bayeux à se retrouver, dont 90 % de femmes. "J'en fais un combat de femmes. Toutes, nous avons été laminées par cette histoire", poursuit Mme Chevalier. C'est aussi un combat d'associations, pas celui des syndicats. "Nous avons constitué notre association à Bayeux au lendemain du sinistre. Les syndicats ne fédèrent que des actifs. De quoi s'interroger. Je reste adhérente de la CFDT, mais c'est invraisemblable que les syndicats délaissent les salariés licenciés."
GABEGIE FINANCIÈRE
Depuis cinq ans, l'association se réunit tous les quinze jours à Bayeux. A Cormelles-le-Royal, au sud de l'agglomération caennaise, les adhérents de l'association pour la défense des intérêts des ex-salariés, Apic-Mx, se rencontrent chaque jeudi dans les rares locaux restés intacts de la vieille usine, la plupart des bâtiments ayant retrouvé une active seconde vie. "Nous sommes entre 50 et 150 à nous retrouver chaque semaine. Nous avons évité bien des drames humains. La réalité des Moulinex est bien loin des affichages politiques qui claironnent 95 % de reclassements réussis. Ce procès, c'est la reconnaissance de tous nos combats menés depuis cinq ans", témoigne Jean-Louis Jutan, de Apic-Mx.
Les 597 plaignants ne remettent pas en cause le plan social de Moulinex, mais les motifs des licenciements. Ils estiment que les critères retenus (ancienneté, situation familiale...) auraient dû s'apprécier sur l'ensemble de l'entreprise et non site par site. Ils contestent aussi les conditions de leur reclassement.
Marie-Gisèle Chevalier, 55 ans dont trente-quatre ans de Moulinex, n'a pas de mots assez durs pour dénoncer "l'incroyable gabegie financière des cellules de reclassement. Elles n'ont rien de fait de bon". Selon ses estimations, sur les 2 850 ex-salariés de Moulinex restés sur le carreau, en Basse-Normandie, "un tiers a retrouvé du boulot, principalement les hommes, un tiers bénéficie de l'allocation-amiante et un tiers n'a pas eu vraiment de reclassement".
C'est de Bayeux qu'est partie la contestation. Aux retrouvailles hebdomadaires, s'est vite jointe une action juridique, appuyée par deux avocats caennais, Gilles Durand et Coralie Loygue.
Le 11 mai 2004, le juge départiteur du conseil des prud'hommes de Caen a donné gain de cause à seize salariés de Bayeux. Onze d'entre eux ont obtenu des indemnités de 10 000 à 18 000 euros. Le 14 avril 2006, la chambre sociale de la cour d'appel de Caen, constituée de cinq magistrats contre trois habituellement, a confirmé le jugement. Aucun pourvoi en cassation n'a été formé, l'arrêt de la cour d'appel de Caen est devenu exécutoire.
Forts de cette décision, les 597 anciens Moulinex, qui devaient plaider leur cause mardi, se sont embrayés dans la brèche. "Je ne vois pas comment le conseil des prud'hommes pourrait aller contre", commentait un plaignant à la veille du procès." D'ailleurs, ajoutait-il, ce n'est pas le procès de Moulinex, mais celui des administrateurs judiciaires et de la gestion de l'après-Moulinex". Mis en délibéré, les 597 jugements individuels ne sont pas attendus avant fin juin. Sur le bureau du conseil de prud'hommes de Caen, 213 nouveaux dossiers Moulinex attendent déjà.
LE FIGARO, LOUIS LAROQUE, Publié le 06 février 2007
C'EST un procès hors du commun. Devant le conseil de prud'hommes de Caen, pas moins de 596 dossiers d'ex-salariés de Moulinex seront plaidés aujourd'hui. Ils contestent les conditions de leur licenciement à l'automne 2001. Pour l'occasion, le tribunal s'est transporté dans l'amphithéâtre Calixte du Centre des congrès. Quatre juges et six avocats prendront place sur la scène. Deux hôtesses accueilleront les plaignants, qui pourront s'asseoir sur des fauteuils bleu acier. Si tous les demandeurs sont présents, la salle de 539 places sera même trop petite. « Nous nous sommes battus pour que tous les Moulinex puissent assister ensemble à ce procès », souligne Marie-Gisèle Chevalier, 55 ans. Elle fut déléguée CFDT chez Moulinex et elle préside aujourd'hui le collectif des anciennes salariées de l'usine de Bayeux, dans le Calvados.
Après le dépôt de bilan de Moulinex en septembre 2001, les quatre usines normandes (Alençon, Bayeux, Cormelles-le-Royal, Falaise) ont fermé leurs portes fin octobre la même année : 3 500 salariés, dont les deux tiers sont des femmes, ont alors été licenciés. Dans une région qui vit et respire Moulinex depuis le début des années 1950, le choc est rude. Un dispositif hors norme est mis en place. Chaque salarié reçoit une prime de départ de 12 000 euros, réglée par les Assedic. Environ un millier de licenciés bénéficient de mesures de reclassement ou de formation et 1 700 obtiennent la préretraite amiante. Une mesure exceptionnellement élargie à trois usines Moulinex où les employés ont manié des cordons amiantés.
Brusquement coupés de l'univers où ils vivaient depuis plusieurs décennies, des salariés, le plus souvent anciens smicards, se regroupent à Falaise et Bayeux. À Cormelles-le-Royal près de Caen, l'Apic-MX, association pour la défense des intérêts des ex-salariés, revendique 800 adhérents.
De 10 000 à 18 000 euros d'indemnités
Aux simples retrouvailles hebdomadaires s'ajoute le suivi des dossiers sociaux et juridiques. Les cadres d'Alençon réclament le paiement d'heures supplémentaires. La contestation la plus vive part de Bayeux : elle a trait aux conditions du licenciement. Seize salariés estiment que les critères (sexe, âge, ancienneté, charges de famille) n'ont pas été respectés. « Les usines ont été fermées et les ouvriers licenciés en bloc, fait-on valoir à la CFDT. Il aurait fallu prendre en compte l'ensemble du personnel du groupe. »
En mai 2004, le conseil de prud'hommes de Caen donne gain de cause aux seize salariés de Bayeux. Ils obtiennent des indemnités de 10 000 à 18 000 euros. En avril 2006, la cour d'appel de Caen confirme le jugement. L'AGS, (association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés) qui se substituera à Moulinex, insolvable pour le paiement des indemnités, n'a pas formé de pourvoi en cassation. L'arrêt de la cour d'appel de Caen est devenu exécutoire. Forts de cette décision, 800 anciens salariés se sont engouffrés dans la brèche et réclament à leur tour des indemnités. Près de six cents sont aux prud'hommes aujourd'hui et deux cents attendent encore que les juges se penchent sur leur sort.
LIBERATION 6 février 2007
La fermeture de quatre usines Moulinex de Basse-Normandie en septembre 2001 avait défrayé la chronique. 2.880 personnes avaient perdu leur emploi du fait du dépôt de bilan du roi du petit électroménager. Les 597 anciens salariés de l’entreprise ont porté plainte pour trois raisons : licenciement sans sans cause réelle et sérieuse, non respect des critères de licenciement et non respect des engagements pris aux termes du plan social.
Parmi les plaignants, Solange Delange et Annick Labasle, deux sœurs de 52 et 51 ans de Falaise (Calvados) qui affirment «n’avoir eu aucune proposition de reclassement» à la suite de leur licenciement après respectivement 30 et 29 ans chez Moulinex. «Nous attendons réparation du préjudice moral et financier», ont-elles déclaré en arrivant au centre des Congrès.
Les demandeurs sont défendus par Me Gilles Durand, du barreau de Caen, qui devait plaider dans la matinée tandis que les avocats de Moulinex et de l’Association pour la gestion du régime des créances des salariés (AGS) prendront la parole dans l’après-midi. Le tribunal, formé de quatre conseillers représentant à parité les employeurs et les salariés, devrait mettre son jugement en délibéré à trois mois, a-t-on indiqué de source judiciaire.