Confrontées aux délocalisations, les ouvrières de Well et d'Arena témoignent :
«A la tête de l'entreprise, pas des humains, une pompe à fric»
Par Carole RAP, Laure ESPIEU LIBERATION : jeudi 14 décembre 2006
Respectivement au Vigan et à Libourne
Coup sur coup le mois dernier, les salariés de Well au Vigan (Gard) et ceux d'Arena à Libourne (Gironde) apprenaient que leur usine allait fermer. La production de collants Well (300 emplois sur 438 personnes) se fera en Chine à partir de 2008, celle de maillots de bain Arena (169 emplois) dès mars 2007. Les employé(e)s en majorité des femmes sont bien décidé(e)s à faire entendre leur voix et prévoient un rassemblement commun (avec leurs collèges d'Aubade et de Dim eux aussi touchés) devant l'Assemblée nationale en janvier. Paroles de futurs licenciés, entre colère et sentiment d'impuissance.
La perte d'un savoir-faire
Chez Arena, Arlette, Claudine, Christine, Francisca et Martine sont abattues. «ça nous contrarie, et ça nous met en colère que le travail parte à l'étranger, mais surtout c'est vexant. Pendant des années, on nous a mises sur le devant de la scène, en nous disant qu'on travaillait bien, qu'on avait un savoir-faire. On s'est bien servi de nous, en nous payant pas très cher non plus. Et puis maintenant, on a perdu toute notre valeur. On ne vaut plus rien.» «Ce qui se passe chez Well, c'est ce qui se passe dans tout le secteur industriel, l'automobile, le textile. Où va-t-on ?» s'interroge en écho Patrick Passet, 51 ans, manutentionnaire de production au Vigan. Brigitte Batailhou, 48 ans, dont dix-huit à sortir des collants chez Well, ressent «un peu d'amertume» : «On n'est plus rien, nous travailleurs français. Toutes les industries partent à l'étranger. On est interloqué. Qu'est-ce qu'on peut faire contre une machine qui est en marche ? soupire-t-elle. J'aimais bien mon travail, je me suis appliquée du mieux que j'ai pu. D'autres personnes vont faire le travail à notre place, peut-être pas avec la même qualité, la même envie de faire.»
Le fatalisme face à la Chine
«On sait qu'on fait de la qualité, mais on n'est pas récompensé si les gens ne l'achètent pas, s'ils préfèrent trois collants pour le prix d'un chez un discounter. Ce n'est pas la faute des patrons, ils font face au marché. Je n'en veux à personne, j'ai mal, c'est tout», lâche Sally Lattard, 56 ans, ouvrière au conditionnement chez Well. «On est ouvrier mais aussi consommateur. C'est aussi nous, les fautifs, à vouloir toujours acheter moins cher», analyse son collègue Stéphane Charlin, du syndicat CFTC. «On n'est pas dupe, pour le bas de gamme, on ne peut pas lutter contre la Chine : les femmes y touchent 60 euros par mois en travaillant quinze heures par jour 6 jours sur 7», confie Saïd Zoubaï, 36 ans, en poste à la production lingerie. « Au début, il y aura peut-être des problèmes de qualité mais, à terme, ils seront compétents. Je n'en veux ni aux Chinois ni aux Italiens. J'en veux à l'actionnaire Natexis qui a fait 1,7 milliard d'euros de résultat net en 2005, et dont le placement en Bourse a été un énorme succès (1).»
Le bien-fondé économique mis en doute
«Les Chinois, ils n'y sont pour rien, renchérissent les filles d'Arena. Mais avec toutes les entreprises envoyées dans leur pays, on se demande de quoi ils pouvaient vivre jusqu'à présent. Ils nous aspirent. On comprend les échanges économiques, mais on a l'impression que ça ne marche que dans un sens. On se bat dans le vide. Les portes sont ouvertes, et le gouvernement laisse partir. Et puis, on s'interroge sur leurs conditions de vie. Comment les industries françaises peuvent donner leur travail là où l'aspect humain est aussi peu évolué ? C'est une honte d'exploiter ces gens.» Une autre ajoute : «Ils nous disent que les Chinoises travaillent aussi bien que nous, mais on n'en est pas du tout sûres... Nous, on pense qu'il y aura des malfaçons et de très gros rebuts. Mais le gain financier compensera. C'était déjà le cas lorsqu'ils ont recruté des façonniers en Tunisie. Il y avait des problèmes de qualité. On réparait ce qu'on pouvait, et ils nous expliquaient qu'ils y gagnaient quand même. Nous, on regarde les étiquettes et les lieux de production. Comme tout le monde, on achète si le prix est attractif. Mais la différence n'est même pas si grande. Pour les maillots Arena, le prix sera le même, à quelques centimes près. Trop cher. On pourra même pas se les payer.»
Le sentiment d'être abandonné par leur direction
«S' il y avait une faillite, ce serait complètement différent car nos patrons seraient pénalisés aussi, continuent les ouvrières du numéro 1 européen du maillot de piscine. On a déjà connu des difficultés dans le passé, et à ce moment-là, on était proche d'eux. On discutait. C'est pour ça qu'on a fait des sacrifices. C'est parce qu'on avait le sentiment qu'ils se battaient pour nous. Pour que tout le monde puisse sauver son outil et travailler. Là, on nous abandonne. Aujourd'hui, ce ne sont même pas des humains, à la tête de l'entreprise, c'est une pompe à fric. C'est plus géré par des personnes, mais par un système. On nous place dans le tambour parce qu'on est devenu une machine qui ne leur rapporte plus assez. On est rien pour eux. Le travaille et l'humain n'ont plus aucun poids. Ils peuvent être remplacés n'importe quand par n'importe qui.»